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Le voyage des enfants
Au printemps 1943, alors que la Haute-Savoie est occupée par les troupes italiennes, de nombreux groupes d’enfants juifs non-accompagnés tentent de franchir clandestinement la frontière en divers endroits près de Moillesulaz. Ces enfants ont moins de 16 ans, se déclarent orphelins. D’où viennent-ils ? Quel voyage ont-ils accompli avant de se retrouver effrayés et transis face à un douanier suisse ?
En octobre 1940 les Juifs de Bade, du Palatinat et de la Sarre sont contraints de quitter ces régions où ils vivent depuis des générations. Ils ont moins de deux heures pour faire leurs bagages. Après trois jours de train, sans manger, ni boire, en direction du sud-ouest de la France, ils sont incarcérés par le gouvernement de Vichy au camp de Gurs. Ils y connaissent le froid, la boue, les rats, la vermine, la faim. Puis Rivesaltes, un autre camp, les attend.
Des organisations de résistances, principalement l’organisation juive OSE (Oeuvre de Secours aux enfants), s’efforcent de libérer les enfants des camps de concentrations français. Les parents seront déportés à Auschwitz. C’est dans de grandes maisons ou d’anciens châteaux mal équipés dans la Creuse et la région de Limoges que les enfants sont accueillis, choyés, éduqués. Ils ont quitté la malsaine promiscuité des camps, vivent en collectivité, redeviennent des écoliers, mais « ils rient le jour et pleurent la nuit » comme l’écrit Katy Hazan, historienne de l’OSE.
Vichy, qui a promis 10’000 Juifs à l’Allemagne nazie, lance les grandes rafles de l’été 1942. Il faut disperser les enfants menacés, les cacher, éventuellement les sortir de France. Jusqu’en juin 1944 plus de mille enfants seront dirigés vers Genève. Les militants juifs qui les conduisent, dont de nombreuses jeunes femmes, ne sont pas beaucoup plus âgés qu’eux. Plusieurs seront arrêtés et y laisseront leur vie.
Avec le grand résistant Georges Loinger, l’OSE organise plusieurs passages clandestins en Suisse. Les enfants apprennent à se comporter avec une fausse identité. Leurs vrais papiers sont cousus dans la doublure de leurs vêtements. Ils se séparent de ce qui trahit leur identité juive (lettres et photos de leurs parents). Ils se préparent aux interrogatoires qu’ils devront subir en Suisse et apprennent à en dire le moins possible.
Un jeune cousin de Loinger, Marcel Mangel, les accompagne parfois dans le train de Limoges à Annemasse. Par ses mimiques et grimaces il s’efforce d’éloigner l’angoisse et la peur ; il deviendra le mime Marceau.
Selon les instructions reçues, les enfants sortent de la gare d’Annemasse par une porte réservée aux colonies de vacances, nombreuses dans la région. Accompagnés d’un passeur, ils marchent ou prennent le tram jusqu’à la frontière. Le passeur coupe les barbelés sous lesquels les enfants rampent avant de traverser le Foron. Sur la rive suisse, un douanier les attend. Ils resteront en Suisse jusqu’à la fin de la guerre.
Texte: Claire Luchetta