La Mich’Line : parcours artistique à ciel ouvert

22/04/2025 culture
La Mich’Line est un concept culturel réalisé par le Fonds d’art de la Ville de Thônex, sous la forme d’expositions temporaires proposées en plein air le long de la voie verte.
Ce projet vise à offrir une expérience artistique et immersive en libre accès, pour créer un lieu de rencontre culturelle local. Du promeneur au passionné, en passant par le visiteur curieux, tout le monde est libre de s’arrêter, d’observer et se laisser inspirer par cette expression artistique en plein air. En intégrant l’art dans le quotidien, la Mich’Line participe à rendre la culture accessible à tous, sans contrainte.
IA, imagination et innovation
« IA, imagination et innovation » est la première exposition proposée dans le cadre de la Mich’Line du 15 mai au 15 août. Elle invite à une réflexion sur le rôle de l’intelligence artificielle dans la création artistique, en explorant les limites et potentialités de cette technologie. À travers les oeuvres de Maëlle Gross et Elsa Wagnières, cette exposition interroge notre rapport à l’IA, entre intimité et imaginaire. Chaque artiste, en s’emparant de cette technologie, crée un discours singulier sur des enjeux contemporains : la maternité, l’environnement et la surconsommation numérique.
Maëlle Gross
Dans ce travail, Maëlle Gross engage un dialogue critique entre souvenirs personnels et intelligence artificielle, entre bouleversement intime et transfert virtuel. Le processus est à la fois exploration et confrontation ; il interroge la capacité de l’IA à représenter une expérience aussi profondément sensible, incarnée et subjective que celle du post-partum. Une expérience qui échappe aux normes de visibilité et qui résiste à l’extériorité lissée de nos existences numériques. Les clichés originaux, archives de ce moment de vie particulier, sont ainsi réinterprétés par différentes intelligences artificielles, soumis aux modèles statistiques. D’autres questions émergent alors : comment ces images sont-elles produites ? Sur quelles références visuelles et esthétiques s’appuient ces logiciels ?
L’IA se nourrit de ce qui domine, composant à partir de sa base de données, elle procède a priori de la manière la plus consensuelle possible. Et pourtant, les résultats interpellent. Loin d’être neutres, ces algorithmes répliquent en effet les structures de pouvoir qui les façonnent, perpétuant des stéréotypes visuels et amplifiant les hiérarchies existantes. Quels corps sont valorisés ? Quels visages sont invisibilisés ?
En s’appropriant ces outils, l’artiste ne cherche pas à célébrer les prouesses de la technologie, mais à en déconstruire les mécanismes et à en révéler la violence symbolique.
En superposant ces productions générées par différentes IA aux photographies originales, Maëlle Gross crée un entrelacement où réalité et simulation se confondent. À ces strates visuelles mêlant ironie, étrangeté et tension viennent s’ajouter des bribes de texte issues de notes prises par l’artiste parallèlement aux photographies.
Au-delà d’une simple manipulation technique, ce travail révèle un double mouvement : la délégation de l’image au processus algorithmique et la réappropriation par l’artiste de ce qui lui échappe. Ce jeu de va-et-vient trouble les certitudes, quelle est la part d’interprétation et de fiction dans ce que nous voyons ?
En posant ces questions, Maëlle Gross met en lumière les biais et les logiques sous-jacentes des outils de génération d’images, tout en ouvrant un espace où la mémoire individuelle s’étire, se déforme et se recompose à la vitesse inimaginable de l’évolution de ces technologies.
Elsa Wagnières
Enthomosphère est une série d’affiches illustrant huit créatures issues du bestiaire fictif Deep Vermins conçu par l’artiste Elsa Wagnières en 2024. À l’aide de l’IA (Stable Diffusion & ChatGPT), elle imagine des espèces créées à partir d’éléments extraits de la nature dans la chaîne de production de nos téléphones portables. Ces êtres hybrides incarnent une vie potentielle dans des milieux ravagés, une nature résiliente et mutante au cœur d’un monde façonné par la révolution numérique et l’hyper-industrialisation.
À l’intersection de l’art, de la science et de la spéculation écologique, Elsa Wagnières compose un bestiaire où l’adaptation du vivant devient une fable dystopique. Deep Vermins s’appuie sur les composants de l’iPhone 5s, révélant 52 éléments distincts issus de sites d’extraction à travers le monde. Ces éléments, parmi lesquels le cuivre, le lithium, le magnésium ou l’or, sont autant de composants dont l’exploitation massive pour la production de nos appareils technologiques contribue activement à la destruction des écosystèmes, à la pollution extrême et à l’épuisement des ressources naturelles. On découvre ici huit sites allant de la Roumanie à la Chine en passant par le Chili, la Bolivie, l’Indonésie, Israël ou encore l’Australie, des ruines environnementales dans lesquelles Elsa Wagnières imagine la mutation.
Fournissant à ChatGPT de la documentation scientifique – articles, blogs, études – comprenant des données réelles sur l’adaptation biologique à travers l’histoire, l’artiste demande à l’IA de générer des espèces fictives capables de coloniser et de survivre au sein de ces territoires hostiles. Les créatures de ce bestiaire, inspirées de bactéries, de micro-organismes divers, d’insectes, d’amphibiens et autres… naissent du croisement entre le processus artistique, les modèles d’intelligence artificielle et les stratégies d’adaptation du vivant. Chaque affiche présente ainsi la formule chimique de l’élément présent dans nos téléphones, son niveau de pollution et le site de son extraction, tout comme le visuel de l’espèce générée par l’IA, son nom et sa description, ainsi que quelques mots-clés extraits des instructions textuelles (prompt) rédigées par l’artiste.
Corps hybrides et translucides aux textures synthétiques, ces êtres rejouent les lois du métabolisme et de la résilience. La nature ne disparaît pas, elle se reconfigure – non plus dans un rapport d’opposition à la technologie, mais dans une fusion étrange où l’artificialité devient potentiellement une seconde nature. En confrontant l’imaginaire à la matérialité des infrastructures technologiques, Enthomosphère propose une vision à la fois critique et spéculative d’un monde que l’on appréhende déjà tant à travers nos écrans. Chaque espèce inventée interroge notre responsabilité. En donnant forme à ces organismes de l’après- catastrophe, Elsa Wagnières esquisse un futur où la survie passe par l’absorption du désastre – une biologie du résidu, un art du possible.